Tout le bonheur du monde 2.0

Le blog de Khaos Farbauti Ibn Oblivion. Une vision du monde cynique et poétique.

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Lettre à mon Père

pere-et-fille.jpgÇa fait un petit moment que je me dis qu’il faudrait que je t’écrive, aujourd’hui il fait froid et gris, c’est un jour idéalement triste pour le faire.

Ta vie a toujours été pleine de rebondissements, mais celui-ci sera le dernier.

Il y a 6 mois, Maman m’a annoncé froidement ton décès au téléphone, elle-même l’avait appris en lisant le journal. Au-delà du choc de la nouvelle, il a fallu intégrer que non seulement tu étais mort mais que tu avais aussi déjà été enterré, certaines personnes ayant sans doute estimé que je ne devais pas être présente. Il est vrai que l’on ne se fréquentait guère plus ces dernières années, mais est-ce suffisant pour priver un enfant du droit de dire au revoir à son père ?

J’ai posé mon téléphone sur la table et j’ai soupiré, j’ai soupiré, soupiré encore puis j’ai dis « heureusement ».
J’ai répété ce mot des dizaines de fois. Non pas que je me réjouissais de ta mort ou de la non-invitation à tes obsèques mais je me suis remémorée notre dernière conversation téléphonique, deux mois auparavant. Un échange très violent et des mots plein de colère, surtout de ma part, mais tu ne m’en voudras pas trop mon petit papa, puisque que cette capacité à exploser, je la tiens sans doute de toi.
Toujours est-il que je t’ai dis au revoir ce jour là et « heureusement » que je l’ai fait.

J’ai trouvé ton faire-part de décès sur internet et là tout devenait concret, tu étais bien mort ça c’est sur. J’ai failli m’étrangler à sa lecture, lorsque j’ai vu que « ses enfants et petits enfants » annonçait ton décès. J’ai pleuré aussi, mais pas tant que ça.
Finalement je pense que j’étais davantage submergée par la haine que par la douleur. Mais je ne réalisais pas vraiment et surtout je ne voulais pas admettre que c’était fini pour toujours, qu’il n’y avait plus aucune chance pour que l’on se revoit un jour. A part peut être demander ton exhumation, mais je trouve ça un peu glauque.

Cet été, je suis venue te voir dans ton petit cimetière breton, où pas même un gardien n’était présent pour m’indiquer ta nouvelle demeure. Alors après avoir arpenté toutes les allées je suis enfin tombée sur ta sépulture.
Je ne pourrais pas décrire la sensation de voir le nom de son père écrit sur une pierre tombale, c’est juste surréaliste de te savoir là, juste en dessous. Je me suis dis que c’était le moment de lâcher les torrents de larmes que je contenais mais je n’ai pas réussi. Je pense que comme je ne t’ai pas vu entrer la dedans, rien ne m’oblige à croire que tu y es. Qui sait, peut être que tu as organisé tout ça pour te barrer sur une île paradisiaque avec une nouvelle maîtresse, personne ne s’en étonnerait. Mais c’est peu probable.

Tu sais, on en apprend bien plus sur les morts que sur les vivants, les langues se délient plus facilement, les secrets de famille remontent à la surface. Aujourd’hui je comprends mieux certaines choses, malheureusement nous n’aurons jamais l’occasion d’en parler.

Alors qu’est ce qu’il restera de tout ça ? et bien des souvenirs mon cher papa, des bons…et d’autres moins.
Des très anciens, comme lorsque tu me posais sur le guidon de ta mobylette verte et que tu me faisais faire le tour de la maison, les miettes qui restaient coincées dans ta moustache et me faisaient hurler de rire et des balades sur la plage, ma petite main serrant fort la tienne. Je retiendrais l’amour que tu avais pour les tiens, même si tu l’exprimais mal, ta générosité, ta droiture (bon, pas dans tous les domaines…) et ton leadership même si à la fin tu ne l’exerçais plus que sur une bande de pochtrons.
Je ne peux pas ne pas parler de cette « crise de foi » qui est apparue subitement chez toi avec la multiplication des crucifix dans ta maison, jusque dans les chiottes. Je me souviens qu’à l’époque tu avais justifié ce renouveau mystique en m’expliquant qu’avec tout ce qui t’étais arrivé et le fait que tu t’en sortais à chaque fois, c’était bien qu’il y avait quelqu’un qui veillait sur toi. Mouais, enfin là le « quelqu’un » il t’a un peu lâché.

Les souvenirs moins sympathiques, j’essayerai de les oublier, particulièrement ton goût immodéré pour l’alcool qui t’a mené là où tu es aujourd’hui. Celui pour les femmes qui m’a conduite à avoir de nombreuses belles-mères (mais comme il faut toujours regarder les points positifs de chaque situation, dis-toi que tu ne laisse aucune veuve épleurées puisque tes ex-femmes te détestent), et celui pour Julio Iglesias qui m’a valu des heures de tortures auditives. Mais surtout cette violence que tu avais en toi et qui, additionnée à l’alcool, t’a fait faire n’importe quoi et a gâché ta vie.

Je regrette que tu n’aies pas davantage connu ton petit fils, il a bien changé, ce n’est plus le petit garçon colérique et capricieux que tu as connu. Je regrette aussi que tu n’aies pas assisté aux moments importants de ma vie, même si on a tenté de rattraper les choses plus tard.

Néanmoins, si je dois garder un seul et unique regret, c’est celui que tu n’aies pas cru en ma parole. Mais pour me rassurer, je me dis que quelque part, si ce en quoi tu crois existe vraiment, tu sais aujourd’hui que je disais la vérité… et accessoirement que tu vas devoir vivre avec ça pour l’éternité.

Et bien voilà, que te dire de plus mon petit papa, à part que je n’ai pas encore réalisé ton départ et qu’on est jamais préparé à perdre un parent. Cela fera 6 mois demain, je ne connais toujours pas les circonstances exactes de ton décès et je ne n’ai toujours pas contacté ceux qui me l’ont cachés. Je ne suis pas encore prête, peut être est-ce une façon de te garder encore un peu avec moi.

Je ne te dirais pas que j’espère que tu es plus heureux là où tu es car enfermé entre quatre planches à six pieds sous terre, j’en doute fort.

Cybèle

Auteur: Cybèle

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