Tout le bonheur du monde 2.0

Le blog de Khaos Farbauti Ibn Oblivion. Une vision du monde cynique et poétique.

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Communauté et militantisme

khaos_circle.jpgLorsque je me promène sur les réseaux sociaux, surtout ces dernières années, je vois un nombre incalculable de minorités en lutte. D'une part pour lutter contre les injustices qu'elles subissent et d'autres part pour affirmer leur existence et ainsi éviter qu'on les ignore.

N'étant pas membre de ces communautés je suis peu légitime pour approuver ou critiquer leur méthode, parce que je suis très souvent perçu comme faisant parti de "l'autre camp", celui qui domine.

Préliminaires

Alors plutôt que de parler de "ce que je ne connais pas", je vais vous raconter la petite histoire d'une communauté que je connais car elle fut la mienne. Et en quelque sorte elle l'est toujours, même si vous allez voir par la suite pourquoi je précise "en quelque sorte".

Bien sûr, je vous arrête tout de suite : L'oppression qu'a subi (et subi parfois encore) cette communauté n'a aucune commune mesure avec les grandes luttes qu'on croise en 2016. S'il y a bel et bien eu des morts et des tortures autant physiques que psychologiques, il s'agit fort heureusement de cas très isolés.
Il en reste encore des traces mais soyons clairs dès le départ : Oui, pas d'inquiétude, votre lutte est bien plus grave et importante que celle dont je vais vous parler. (Inutile donc de me balancer des commentaires haineux en hurlant que mon billet est ridicule face aux vrais problèmes de ce monde. Ce n'est de toute façon pas son but.)

Or donc, il y a fort longtemps vivaient tout un tas de marginaux. On les appelait geeks, nerds, et autres noms d'oiseaux. Car oui, à l'époque, ce n'était pas du tout flatteur.

Les geeks

Tous ces gens pratiquaient un mode de vie différent. Ils étaient rêveurs ou surdoués, souvent les deux, mais surtout presque toujours inadaptés socialement ce qui en faisaient la risée des autres enfants.

Les geeks pratiquaient des activités de loisirs particulières, clivantes par rapport au reste de la société : Ils s'intéressaient aux comics, aux mangas, aux ordinateurs, etc... Presque toujours des choses qui étaient plutôt mal vu par les autres enfants, les parents, les médias, ... bref par tout le monde.

Comme le terme était un peu large, des communautés spécifiques se sont créées autour de chacune des activités. Les geeks découvraient la joie de partager entre gens qui se comprennent et pouvaient enfin échanger ensemble.

Les communautés se renforçaient et permettaient de développer chaque loisir de manière importante. On n'était plus "un geek", mais un fan de comics, ou un fan de manga, ou un fan d'informatique, ou un rôliste, ...

Oui parce qu'on prenait l'étiquette de sa communauté, c'était plus simple. Chaque loisir avait des besoins et connaissances spécifiques, du coup en se définissant plus précisément que juste "geek", on pouvait partager plus facilement avec ceux qui avaient les mêmes centre d’intérêt.
Les fans de comics et les fan de mangas ne parlaient pas du tout de la même chose. Pas le même univers, pas le même historique, pas les mêmes techniques.

Zoomons un peu.

Au milieu de tout ça, il y avait une variété de geeks qui se passionnait de jeux de rôle. Les rôlistes donc.

Les rôlistes et leur Némésis

Ils pratiquaient une forme avancée de ce que tous les enfants font lorsqu'ils sont petits : jouer à faire semblant.

Cette pratique, comme toutes les autres pratiques de geeks, était donc très mal vue par la société. Au départ, avant tout parce que c'était considéré comme juvénile et pas du tout digne de futurs adultes. Mais au fil du temps cette communauté a été opprimée de manière bien plus violente que cela.

Je peux me tromper mais il semble que ce sont les geeks rôlistes qui ont subi l'une des plus violentes oppressions de ce milieu. Surtout si vous viviez aux U.S.A.
Et encore aujourd'hui, on trouve un peu partout des traces de ce conflit, même en France.

L'ennemi des rôlistes s'appelait la religion. Chrétienne surtout. (C'est du moins celle dont j'ai le plus entendu parler, mais probablement les autres aussi)
Car la même mentalité superstitieuse, qui fut à l'origine du massacre de "sorcières" aux siècles précédents, a été à l’œuvre pour écraser les rôlistes de manière à peine moins violente.
Les seuls qui furent brulés furent des livres, mais un nombre incroyablement élevé de personnes vivent encore aujourd'hui avec les traumatismes psychologiques (et parfois même physiques) de cette époque.

Et je ne parle pas du moyen-age là, mais bien de l’Amérique des 30 dernières années. Des enfants y sont MORTS pour avoir pratiqué le jeu de rôles. (Je ne crois pas qu'il y ait eu de cas "officiel" en France, mais certains suicides sont très probablement liés.)

Que faisait donc la communauté de rôlistes pendant qu'on les accusaient de satanisme, déviance sexuelle, et autres pratiques abominables ? Et bien elle cherchait surtout à se définir. Car avant de pouvoir lutter contre une menace aussi omniprésente, il fallait se sentir fort.
Avant de pouvoir affirmer au monde qui l'on était, il fallait d'abord répondre à deux questions : "Qui suis-je ?" et "Est-ce légitime d'être ce que je suis ?"

Subdiviser pour exister

Là encore plusieurs communauté se sont formés, subdivision de la grande famille des rôlistes (elle-même subdivision de la famille des geeks), pour trier un peu les spécificités de chacun et se retrouver entre pareils. C'était ça qui permettait de se sentir plus fort, plus légitime : être entouré de gens comme nous.

Il y avait par exemple les rôlistes "fantasy", qui utilisaient le jeu de rôles essentiellement pour s'évader, et qui préféraient les jeux type "Donjons et Dragons". Il y a avait les rôlistes "matures", qui préféraient jouer le monde (ou plutôt une version cynique du monde) afin d'en expérimenter tous les aspects même les plus sombres, ceux-là étaient plus "Monde des ténèbres".

Et puis vint d'autres subdivisions, où l'on se définissait par déclinaison, puis par numéro de révision de la déclinaison, etc...

Moi, par exemple, j'étais donc un geek rôlistes, jouant au "Monde des ténèbres" de White Wolf, au jeu Mage l'Ascension, édition "Revised" (aka la troisième édition)

Le temps des conflits

Mais au fil des divisions est apparu un effet pernicieux. Le terme technique était "Flame wars", mais concrètement c'est le phénomène par lequel chaque découpage se transforme progressivement en camp, avec d'un coté ceux qui sont dans votre division/découpage et les autres (qui bien sûr ont tort) de l'autre.

Des "flame wars", il y en avait partout chez les geeks et vous en connaissez vous-même surement plein : Marvel contre DC, Mac contre PC, Windows contre Linux, Batman contre Superman, ...

Dans ma communauté à moi (Le jeu de rôles Mage l'Ascension donc), c'était la terrible "Edition wars". Avec 3 camps, représentant respectivement la première, la deuxième et l'édition "revised" (Si vous avez bien suivi, j'étais dans cette dernière)

Les associations, les groupes d'amis, les forums se remplissaient de débats interminables sur quel camp était le meilleur, quel camp détenait la vérité. Il FALLAIT hiérarchiser. Il FALLAIT définir le plus légitime.

Il y avait de la passion et donc de la virulence dans les propos, aucun camp ne voulait céder. Et cela a duré des années comme ça.

La Fin (?)

Et puis un jour, alors que deux personnes clôturaient, par épuisement, un énième débat qui n'avait objectivement connu aucun vainqueur, ils ont regardé autour d'eux et réalisé qu'il n'y avait plus rien :

  • Les forums étaient vides, tout le monde étant partis, lassés, dégoutés
  • Les communautés n'existaient plus, détruites de l'intérieur ou simplement par l'érosion du temps
  • Les magasins de jeu de rôles avaient tous fermé, ou s'étaient orientés vers d'autres loisirs plus répandus
  • Les circuits de traduction et de distributions avaient fait faillite
  • Les sociétés produisant les jeux de rôles, elle-même, avaient en grande partie disparues.

Les rôlistes n'existaient plus.

Tandis qu'ils passaient leur temps à se quereller, ils avaient été dissous par l'oppression et le temps. Pas juste intégrés dans la culture grand public comme les mangas ou les comics, non.
Littéralement dilués jusqu'à ne quasiment presque plus exister.

Alors, pendant plusieurs années, il y eut le silence.

Le renouveau

Le temps passa et le monde changea. Les geeks d'hier devinrent les quadra d'aujourd'hui et tandis que la génération précédente perdait le pouvoir, la culture geek devenait la culture de tous.

Progressivement les rôlistes réapparurent. Lentement, car tout était à refaire, des sociétés d'édition se sont reconstruites, des gammes de jeu de rôles sont réapparues, des communautés se sont rouvertes. Au point même de redevenir de nos jours, une activité commerciale rentable.

Ce qui a changé par contre, c'est l'envie très marquée de ne pas reproduire les erreurs du passé. Il n'y a plus vraiment d'étiquettes, plus de camps. On ne se définit plus par tel univers, tel jeu, telle édition. De nombreux projets utilisent le financement participatif et les contributions viennent de toute part, y compris d'anciens "camps" ennemis, y compris même de non-rôlistes.

La communauté ne se subdivise plus et se tourne désormais beaucoup plus vers tous les siens qui ont souffert. Elle ne se perd plus en conjecture sur ce qu'elle est, ses étiquettes, son périmètre, ses définitions. Parce que dans le fond, ça n'a aucune importance. Elle se contente d'être et offre enfin ainsi un espace pour ceux qui en ont besoin.

Et si notre histoire peut servir à d'autres, alors tant mieux.

Que la paix soit avec vous.

Khaos Farbauti Ibn Oblivion

Auteur: Khaos Farbauti Ibn Oblivion

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